Les tendances du secteur de l'édition - 2019
(Cet article est un résumé en trois parties de la présentation faite lors de la réunion des utilisateurs européens d'Advantage à Lisbonne les 26 et 27 septembre 2019)
Première Partie (1/3)
Il y a un an, lors de la réunion des utilisateurs d'Advantage à Paris, j'ai présenté pour la première fois une synthèse des grandes tendances du secteur de l'édition, identifiées à partir de diverses conférences, visites chez des prospects ou des clients, ainsi que par une veille attentive du secteur. J'ai souligné le développement rapide des portefeuilles d'abonnés numériques, l'émergence de nouveaux thèmes tels que la rétention, la résistance du papier, le divorce avec les GAFA et les nouvelles stratégies autour de la diffusion et de la relation avec les lecteurs. Un an plus tard, en renouvelant l'exercice, y aurait-il des nouveautés ? À ma grande surprise, la réponse fut positive. En moins d'un an, certains sujets ont franchi un nouveau cap, d'autres se sont amplifiés et de nouvelles questions ont émergé. Voici un résumé en six points de ces tendances identifiées sur l'année 2019.
Le numérique accélère
Le New York Times demeure l'indice de référence du secteur. Pendant des années, son développement, sa stratégie et ses soubresauts ont alimenté les espoirs d'un secteur en profonde mutation. La croissance de son portefeuille reste importante avec près de 200 000 abonnements numériques supplémentaires chaque trimestre. Le portefeuille de 3,7 millions d'abonnements (imprimés compris) est passé à près de 4,7 millions à la fin du premier semestre 2019. Cette augmentation s'appuie sur les abonnements thématiques - les verticales - (mots croisés et recettes de cuisine) qui représentent près de 700 000 abonnements. L'objectif du PDG Marc Thomson d'atteindre les 10 millions d'abonnements en 2025 est maintenu.
Le succès du New York Times à développer son portefeuille d'abonnés numériques n'est pas unique et d'autres exemples existent. Il y a par exemple le Financial Times (800 000 abonnés numériques, soit 75% de la diffusion), le Boston Globe avec ses 112 000 abonnés numériques (ils dépassent pour la première fois le portefeuille papier, en baisse), Le Monde en France, qui est passé de 120 000 en 2018 à 200 000 (une hausse mensuelle de 14 000) ou Dagens Nyheter en Suède, qui compte 165 000 abonnements numériques (en hausse de 2 000 par semaine), autant que le papier. Et certains magazines rejoignent le mouvement, comme Wired, dont le paywall l'an dernier a permis de constituer un portefeuille 100 000 abonnements numériques tout en stimulant le développement de l'abonnement papier.
Les secteurs de la jeunesse et l'international sont deux leviers importants pour soutenir cette croissance. Pour la jeunesse, il s'agit d'abord de créer une habitude de consommation à la presse en ligne. Le New York Times a annoncé l'accès gratuit de 3 millions d'étudiants au journal grâce à la générosité de 30 000 donateurs. The Economist a une approche plus classique avec des offres à prix réduit pour ce public, ainsi que des produits dérivés spécifiques. Le Financial Times, quant à lui, passe par les universités pour stimuler ses abonnements, encourageant les étudiants à utiliser la publication comme une ressource éducative. Enfin, le norvégien Schibsted approche cette cible par un format de diffusion adapté. Son application Peil est spécialement conçue pour les jeunes lecteurs.
Sur l'international, les stratégies sont également nombreuses. Le New York Times veut devenir un « deuxième quotidien » (avec un prix réduit). Le Guardian s'identifie comme un quotidien « global » avec un public de donateurs internationaux. Enfin, Mediahuis, avec l'acquisition de l'Irish Independent, veut étendre sa diffusion au sein de la diaspora irlandaise.
Le succès des Paywalls et les nouveaux défis
Avec l'effondrement des recettes publicitaires, le chiffre d'affaires issu de l'abonnement est devenu l'objectif principal des éditeurs sur les cinq dernières années. En 2019, près de 52 % des dirigeants affirment que ces revenus sont la priorité n°1 de leur entreprise. Les paywalls et les abonnements numériques ont décollé durant cette période et l'indice FIPP affiche une augmentation de 3 millions entre 2018 et 2019, passant de 10 à 13 millions d'abonnements numériques. Des acteurs majeurs du monde de l'édition comme Condé Nast ont décidé de mettre tous leurs titres derrière le « mur ». Pour Bob Sauerberg, ex-PDG de Condé Nast, un abonné qui paie pour son contenu est beaucoup plus qualifié et précieux qu'un visiteur gratuit.
Avec son développement, l'utilisation des paywalls est devenue plus sophistiquée. Le modèle le plus répandu est le freemium (45%) les articles spécifiques étant marqués soit en accès libre, soit limités aux abonnés. Suivent en popularité (32%) les couplages papier et numérique. Le modèle métré (un compteur d'articles gratuits avant de toucher le "mur") n'est utilisé que dans 11 % des cas, et ce nombre diminue. Le modèle "dur", qui ne permet pas d'accès sans paiement, est utilisé par 8% des éditeurs. Enfin, d'autres variantes (« dynamique », « hybride », « géographique », « thématique ») sont à l'essai, mais les chiffres pour ces catégories demeurent faibles.
Le modèle métré est celui qui subit la transformation la plus profonde. Un exemple a été donné lors de la Journée WAN-IFRA à Paris. Le Boston Globe y indiquait qu'au cours des cinq dernières années, le nombre d'articles gratuits attribués aux lecteurs est passé de 13 à 5 puis à 2. En outre, la durée du compteur avant sa réinitialisation est passée d'un mois à 45 jours, puis 60. Chaque fois, le renforcement des contraintes a encouragé les visiteurs du site à s'abonner en plus grand nombre. D'autres éditeurs comme Le Temps de Genève ont abandonné le modèle métré au profit du freemium, enregistrant de biens meilleurs résultats tant pour le numérique que pour le papier.
L'utilisation croissante des paywalls a encouragé l'émergence de solutions logicielles dédiées. Le leader historique Piano a levé 22 millions de dollars en 2018. La société française Poool a signé de multiples contrats avec des éditeurs français tout au long de l'année.
Néanmoins, le développement des paywalls provoque un contrecoup sous la forme de "bloqueurs de paywall". Plusieurs méthodes de contournement ont toujours existé, comme la publication d'articles sur les réseaux sociaux et l'utilisation de la « navigation privée ». Mais la mise à jour de Chrome en août 2019 a rendu plus difficile la détection du mode « navigation privée », ce qui a fait craindre la fin du métré. Finalement, les éditeurs ont trouvé de nouvelles manières de détecter ce type de navigation, mais la plupart rendent maintenant l'inscription obligatoire pour accéder au contenu gratuit, comme le New York Times qui a franchi cette étape en septembre. Le questionnement croissant autour des cookies, en particulier ceux des parties tierces, ne peut qu'accélérer cette tendance.